Comme 85% d'entre nous admettent y succomber, la procrastination suscite beaucoup de sourires. Mais c'est aussi un trouble anxieux qui condamne à vivre dans le stress.
"Pourquoi faire aujourd'hui ce que je peux faire demain ?" Que celui qui n'a jamais récité ce mantra lève la main : il fait partie des rares personnes qui échappent à la procrastination.
Le phénomène est, en effet, si répandu qu'il a sa journée mondiale le 25 mars... et selon différents sondages (Odoxa et OpnionWay pour JeChange), les Français en seraient les champions, particulièrement au bureau : 50% d'entre nous feraient du surplace au travail une heure chaque jour... puissamment aidés par les smartphones, ordinateurs et réseaux sociaux.
Largement partagée, la procrastination suscite donc des blagues sans fin (on vous les racontera... demain). Mais si elle peut avoir des côtés positifs, pour nombre de personnes, ce trait de caractère n'est pas du tout drôle. Il les fait vivre dans le stress, sans cesse sur la corde raide.
Le procrastinateur n'est pas un paresseux
Précisons d'abord que le procrastinateur n'est pas un paresseux. Il finit généralement par se plier à ses obligations, tard, parfois en retard, mais toujours après avoir passé des heures ou des jours, soit à essayer de les oublier, soit à se dire qu'il doit absolument s'y mettre.
Résultat, le procrastinateur est un individu qui passe son temps à ajouter tout ce qu'il n'a pas encore fait, à tout ce qu'il lui reste à faire... Autant dire que sa charge mentale n'est jamais légère.
Il agit à rebours du précrastinateur qui se précipite pour faire ses devoirs pour l'école, ses rapports pour le travail, les achats pour la maison... afin de s'en débarrasser au plus vite.
Décrit en 2014, par le psychologue David Rosembaum, de l'Université de Pennsylvanie, aux Etats-Unis, le précrastinateur n'a qu'une obsession : alléger sa charge mentale, quitte à prendre de mauvaises décisions à force d'aller trop vite...
Au quotidien, la procrastination la plus commune se limite à des blocages ponctuels, sur une déclaration d'impôt ou le nettoyage de printemps. Rien de plus naturel que de chercher à éviter les corvées.
Il peut cependant être intéressant d'y réfléchir quand les reculades concernent toujours les mêmes tâches : les obligations du travail mais pas celles de la maison, par exemple.
La procrastination signale alors confusément que nous sommes sur une voie qui ne nous convient pas, qu'il est temps de changer de travail ou d'orientation dans les études.
Puis, il y a les cas où la procrastination devient un mode de fonctionnement ; l'esprit se paralyse dans un conflit constant entre ce qu'il doit faire et ce qu'il fait.
La procrastination trahit alors une défaillance de l'autorégulation au niveau de la prise de décision et de l'anticipation des conséquences.
La mauvaise perception du temps est centrale chez le procrastinateur. Il surestime tellement le temps dont il dispose que même au pied du mur, il est encore capable de multiplier les tâches dilatoires (ranger son bureau, actualiser son carnet d'adresses...) plutôt que de rédiger le rapport attendu pour le soir-même.
La procrastination touche alors aussi à une forme d'hyperactivité. Ceux qui lancent une lessive, passent une commande sur internet ou se font les ongles avant de se mettre à leur télétravail de confiné se reconnaîtront peut-être.
Un des principaux facteurs de cette défaillance de l'autorégulation est l'anxiété, une anxiété d'incertitude, précise le Pr Antoine Pelissolo, dans "Vous êtes votre meilleur psy !" (Flammarion).
Pour le psychiatre, la procrastination est alors un comportement d'évitement, comme dans le cas de phobies, mais là, il s'agit de ne pas se confronter à une tâche que l'on appréhende de mal faire, car cette anxiété-là fait fond sur une faible estime de soi et son corollaire, le perfectionnisme.
Se libérer de la pression de l'urgence
Cela étant, selon les travaux d'Adam Grant, lui aussi professeur de psychologie à l'Université de Pennsylvanie, les moins anxieux utilisent leur dilettantisme de façon positive.
En effet, la procrastination permet aussi au cerneau de se libérer de la pression de l'urgence. Pendant les distraction, balades sur Twitter ou lecture de mails non urgents, il travaille en tâche de fond. Et à la reprise du travail, l'inspiration jaillit. Eurekâ : passer l'aspirateur peut aider à trouver le plan d'une dissertation.
C'est un peu ce que racontent les personnes qui ont besoin d'avoir le couteau sous la gorge pour être efficaces et qui, au passage, en profitent pour se doper à leur propre adrénaline.
Mais attention, cette utilisation de la procrastination par le cerveau n'a de sens que pour des productions artistiques ou créatives, pas pour la feuille d'impôts. Et dans tous les cas, il n'en sort aucune réflexion féconde, si les données à traiter n'ont pas été acquises au préalables.
Autrement dit, aucun aspirateur ne vous donnera le plan de votre dissertation si vous n'avez pas potassé vos cours avant.
Demain, j'arrête...
De tous les comportements qui échappent aux bonnes résolutions et à la seule volonté, la procrastination vient en tête.
Afin de pouvoir lui échapper, il faut d'abord analyser soigneusement le type de tâches et les circonstances qui provoquent des blocages.
Puis, rétablir les priorités à l'aune de deux critères :
l'urgence et le degré d'utilité
Dois-je faire la vaisselle ou passer ce coup de fil ?
Il s'agit de remettre de l'autorégulation, une forme de contrôle, dans la vie professionnelle ou scolaire.
Décomposer en petites étapes
Pour ne pas se laisser effrayer par une tâche d'ampleur, il est nécessaire donc de la décomposer en petites étapes plus faciles à envisager tour à tour.
Le découpage doit aussi être temporel et s'organiser en séquences plutôt courtes, de dix à quinze minutes par exemple : on évite de se dire qu'on va gravir une montagne mais plutôt qu'on avance un pied après l'autre.
Le séquençage en étapes courtes, qui peuvent être biffées tour à tour sur une liste, permet de sortir des échéances longues, redoutables pourvoyeuses de procrastination, et de ressentir une vraie satisfaction à chaque pas.
Ce renforcement positif facilite l'engagement dans l'étape suivante.
La procrastination étant partiellement liée à une connexion relâchée avec le moi futur, la pratique de la méditation, axée sur le moment présent, puis associée à des exercices de visualisation, qui permettent de se projeter positivement dans un avenir (pas trop) éloigné, aide à relâcher les tensions et les blocages.
Source : Christiane Baudry Le Télégramme
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