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  • josianetremel

Noël : les jouets n'ont pas de mauvais genre


L'assignation des jouets selon le sexe prive les enfants d'accéder à des catégories de jeux qui leur seraient pourtant profitables à l'avenir.

Dinette pour les filles, voiturettes pour les garçons ? Les adultes, et surtout le marketing, ont tracé des frontières dans les rayons des jouets.

Comme si les enfants ne devaient jamais s'amuser... ensemble !

Il y a peu encore le débat opposait les tenants des jouets éducatifs à ceux qui défendaient ceux justement destinés à jouer, souvent plus rigolos ou étincelants. Les premiers sont supposés favoriser une scolarité brillante. Les seconds, vantés par les Père Noël de la publicité, sont de facto ceux que les enfants demandent le plus souvent.

"Je n'ai jamais eu la robe de princesse en tulle rose dont je rêvais, je ne veux pas décevoir ma fille comme je l'ai été", assène Laure, 35 ans. "Sauf que moi, la boîte de Petit Chimiste que je n'aurais jamais pensé à commander de moi-même m'a donné des vrais mercredis de bonheur", lui répond son mari Julien. Mais tandis que les époux discutent sur les lettres au Père Noël de leurs enfants, voilà que Léo, 4 ans, vient tout chambouler en demandant une poupée Barbie©, "avec une robe de princesse". Il pose ainsi la question des jouets "genrés", autrement dit les "jouets de garçons" et les "jouets de filles". Contrairement à une idée reçue, la stricte séparation entre ces deux catégories est assez récente. Certes nos grands-parents offraient des petites voitures aux garçons et des poupons aux filles. Mais au-delà, la plupart des autres jouets, puzzles, pâte à modeler ou briques de Lego© ne se pensaient pas au féminin ou au masculin. Exemple régulièrement évoqué : en 1975 aux Etats-Unis, 20% seulement des jouets au catalogue des grands magasins Sears étaient clairement classifiés "filles" ou "garçons". Ceci à une époque où les femmes étaient pourtant loin d'avoir conquis tous les métiers. C'est dans les années 80, avec l'essor des jouets dérivés du cinéma ou des séries télé, mais aussi par une certaine "disneylisation" du paysage enfantin, qu'ils sont devenus de plus en plus genrés, avec la "guerre du rose" en toile de fond (lire ci-dessous). Dans les hypermarchés, les imposants rayons qui se déploient pour Noël se sont peu à peu présentés en deux blocs : une allée débordante de rose pour les filles et une toute bleue pour les garçons. Avec, à la rigueur, une troisième allée "ne sait pas" pour les bébés (et encore) ou les jeux de société. Les mêmes besoins Le problème, c'est que ces strictes séparations assignent les enfants à des stéréotypes dont il est prouvé qu'ils les influenceront durablement. Aux filles, les jouets de futures mamans et, en attendant, de princesses plus ou moins sexy selon l'âge. Aux garçons, les voitures, les super-héros, les jeux de construction... "Les jouets genrés(...) prescrivent aussi ce que les filles et garçons ne devraient pas aimer", note la chercheuse Gabrielle Richard, sociologue du genre à l'université de Paris Est, dans "The Conversation". "Ils suggèrent que certains comportements ne sont pas attendus d'eux, qu'ils n'y performeront pas, voire qu'ils devraient s'en tenir à distance. Qu'une fillette n'aura peut-être pas les habiletés nécessaires pour construire le vaisseau spatial Lego. Qu'un garçon ne trouvera probablement pas sa place à la cuisine, ou n'aura pas l'instinct pour s'occuper d'un bébé, fut-il en plastique". L'assignation des jouets selon le sexe prive les enfants d'accéder à des catégories de jeux qui leur seraient pourtant profitables. Loin des stéréotypes, on sait que les petites filles ont, autant que les garçons, besoin de se défouler et de développer des compétences motrices et de repérage dans l'espace, en courant après des ballons ou en pratiquant des activités physiques. Tous ont besoin de jeux qui développent la créativité, la curiosité et l'imagination. Les petits garçons enfin peuvent retirer le même plaisir que les petites filles à rêver ou inventer des histoires en jouant à la poupée. Les poupées préparent les enfants à grandir L'université de Cardiff au Royaume-Uni, avec un financement par Mattel, en a apporté une preuve par les neurosciences. Des garçons et filles âgés de 4 à 8 ans ont été équipés de casques permettant aux scientifiques de scanner leur activité cérébrale pendant qu'ils jouaient. Ils ont ainsi relevé que les zones du cerveau reliées à l'empathie et aux compétences sociales s'activent quand les garçons ou les filles jouent à la poupée. Les jeux sur tablette, en revanche, n'ont pas provoqué de stimulations comparables. "Les poupées encouragent les enfants à créer leurs propres mondes imaginaires, par opposition à la résolution de problèmes ou aux jeux de construction", souligne le Dr Sarah Gerson, autrice de l'étude. "Elles les incitent à construire une réflexion face à autrui et à la façon dont ils pourraient interagir les uns avec les autres". Autrement dit, les poupées préparent tous les enfants à grandir. En définitive, il s'agit donc de choisir les jouets en fonction du type de plaisir qu'ils peuvent apporter : - imiter les grands - attiser la curiosité - faire rêver, bouger, rire... plutôt qu'en fonction d'une attribution arbitraire aux univers "garçons" ou "filles". Et Léo aura bien une poupée pour Noël. Avec une robe de princesse... bleue. Tout en rose : le piège du porte-monnaie ! Pourquoi les vélos pour petites filles sont-ils roses ? Parce que ce sont des vélos de princesses, répondent les enfants (sans se demander comment elles pédalent avec une traine et des froufrous). Parce que les parents seront obligés d'en racheter un autre pour le petit frère, disent - à voix basse - les spécialistes du marketing. Et le fait est que que la rosification intense des jouets, du pur "pink" au plus délicat "pétale", concerne 89% des jouets destinés aux fillettes d'après une étude de l'association nationale des ingénieurs britanniques (Institution of Engineering and Technology ou IET) menée en 2016. Une couleur qui "fait fille" ! Même les jouets qui pourraient être neutres, vélos, ballons, briquettes de construction... Mais aussi les objets de décoration, lampes de chevet, réveille-matin sont déclinés dans des versions pour filles et pour garçons. Le rose servant de marqueur. Et donc aussi de repoussoir. Adultes comme enfants ayant complètement intégré que cette couleur "fait fille", il n'est pas question d'offrir un objet bien rose à un petit garçon. De ce fait, les jouets et déco ne peuvent plus se passer entre frères et sœurs, comme autrefois. Quand la fratrie est mixte, les achats se multiplient : à chacun son ballon, ses pâtes à modeler et le vélo de la grande n'ira pas à son petit frère. Pour l'industrie du jouet, le rose, et plus globalement la féminisation ou la masculinisation à tous crins de jouets qui pourraient être neutres, c'est le jackpot. Mais les parents ne sont pas obligés de se laisser faire.

Source : Christine Baudry - Le Télégramme

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